Viens chez moi, j’habite chez une I.A

Quel bonheur de rentrer chez soi !

La lumière a inondé l’allée du jardin sur son passage, c’est vraiment la vie de château : « Un vrai petit Ver- sailles », mais comme : « C’est pas Versailles, ici ! », le chemin est bien vite retombé dans la pénombre, car il faut aussi savoir faire des économies.

Arrivé sur le palier, un regard insistant dirigé vers un petit écran a suffi pour que la porte s’entrouvre… Et à peine franchie, une bonne odeur de poulet rôti a envahi ses narines et est venue exciter son estomac quand un, « Bon- jour, Comment vas-tu ? As-tu passé une bonne journée », sorti tout droit d’une enceinte, lui a donné l’impres- sion d’être accueilli.

Machinalement il a répondu, le temps d’ôter sa veste et ses chaussures, puis il s’est écrié : « Happy de Pharrell Wil- liams », et la musique a envahi son salon…

Monsieur Albert est heureux dans sa maison « domotisée ».Elle peut tout prévoir pour lui

Monsieur Albert est heureux dans sa maison « domotisée ». Elle peut tout prévoir pour lui – dès lors qu’elle est programmée –, mais pour satisfaire son hôte, elle sait aussi prendre des initiatives, comme si un sixième sens l’inspirait… Ce soir, une poignée de girolles viendra accompagner le vo- latile, car sa maison « assistante » a compris que c’était délicieux ; des al- gorithmes lui en ont soufflé l’idée.

Il reçoit au travail des petites alertes, toujours bien formulées, qui lui rap- pellent que les volets s’ouvrent ou qu’ils se referment ; les radiateurs s’adaptent à la météo ; la liste des courses est envoyée sur son smart- phone par un réfrigérateur intelli- gent ; l’aspirateur a bien aspiré et lavé le sol ; la machine a lavé et séché le linge, elle a rempli sa mission aux heures creuses ; etc. C’est écologique, c’est économique, c’est parfait ! Car c’est cela une « maison domotisée », smart, intelligente.

La domotique a pour fonction de pro- grammer, de contrôler et d’automa- tiser, à distance ou sur place, tous les appareils du domicile intégrés au sein d’un réseau. L’ensemble permet d’optimiser la maison et de parfaire le confort de ses habitants. Sauf que la semaine dernière, le propriétaire n’était pas content : une nouvelle mise à jour, une nouvelle enceinte ont

semé la zizanie dans un disposi- tif pourtant bien étudié. Monsieur Albert a donc dormi Elle peut tout prévoir pour lui chez sa mère, car le technicien ne pouvait régler le problème à distance … Eh oui, lorsque cela concerne la sécurité, il est diffi- cile de donner l’accès de la maison à quelqu’un que l’I.A. ne reconnaît pas. En bref, à cet instant, Monsieur Albert a compris qu’il ne vivait pas chez lui, mais bien chez une I.A.

Mais ce soir, c’est oublié ! Il attend Laura et il a programmé un menu spécial, les lumières sont tamisées. La vie est belle, et il se sait amoureux !

« Bonjour », dit la voix, « il fait 10 degrés dehors” aujourd’hui et le temps est plu- vieux. » Avant de sortir Monsieur Al- bert se couvre d’un manteau et prend son parapluie, sans même avoir jeté un œil sur le temps qu’il fait. Cela implique que cette parole agit sur lui comme un commandement, qu’il y est sensible et qu’il y prête une réelle at- tention. La domotique a eu raison de lui. Il est conditionné par ce lien de confiance de type pavlovien qui s’est établi entre la chose et lui, au point de ne même pas chercher à vérifier ses dires. Est-ce à dire que plus l’objet est intelligent, moins son utilisateur l’est ?

Agréable, l’objet connecté devient de plus en plus performant et apte à répondre aux désirs de son usager. Les relations sont fluides, efficaces. À mesure que la chose et l’humain se fréquentent, la qualité de l’objet à satisfaire son hôte donne l’impression que leurs échanges s’affinent et se perfectionnent. Monsieur Albert n’en a peut-être pas conscience, mais il s’aliène progressivement aux objets.

Mais il ne le sait pas encore. Ce soir, il ne rentrera pas chez lui ; son I.A. ca- pricieuse et jalouse ne lui ouvrira pas la porte, elle lui criera même :

« tu n’as qu’à aller dormir chez ta Laura » ! À ses dépens, ainsi, aura- t-il fait l’expérience de vivre chez une I.A. !

Laurence Vanin